Le combat du bien et du mal

Le combat du bien et du mal

Le combat du bien et du mal

# Prédications

Le combat du bien et du mal

Prédication du dimanche avant le Carême — Estomihi (27 févr. 2022) au Temple Neuf à Strasbourg — Pasteur Rudi Popp

Introduction : Un message de l’UEPAL

Jeudi matin 24 février, alors qu’à Strasbourg s’ouvrait le 3e « Forum des religions » autour du thème de la tolérance, nous apprenions que l’intolérance et la violence politique avaient une fois encore pris le dessus sous la forme d’une agression brutale de l’Ukraine par son puissant voisin. Il est terrible de constater que les menées d’un dictateur peuvent balayer d’un revers de la main toutes les tentatives diplomatiques, déployées notamment par l’Union européenne et sa présidence française. Cela peut susciter un sentiment d’impuissance et de peur pour l’avenir, car d’autres dictateurs du même acabit pourraient être tentés d’emprunter cette même voie.

Depuis des millénaires, juifs et chrétiens ont exprimé à travers les Psaumes leur confiance dans le Dieu de l’amour et de la vie, confiance plus forte que le sentiment d’abandon ou de triomphe des méchants. « Des profondeurs je crie vers toi : Seigneur, écoute mon appel ! Que ton oreille soit attentive au cri de ma prière ! » Psaume 130,1. Alors que nous allons entrer dans le temps du Carême, souvenons-nous que le Christ notre salut a prié les Psaumes lorsque la violence des hommes l’a mené au supplice de la croix, qui par sa résurrection est devenue un arbre de vie !

Alors que nous sommes atterrés par l’irruption de la guerre sur notre continent, nous invitons tous les chrétiens à prier pour la paix.

Seigneur, Prince de la Paix, écoute notre prière. Nous nous tournons vers Toi alors que des bruits de guerre résonnent en Europe. Nous te prions pour l’Ukraine. Nous te prions pour la Russie. Nous te prions pour l’Europe et le monde. Sois le soutien de tous ceux qui sont secoués, ébranlés par la peur, l’angoisse et la violence. Brise l’orgueil des puissants, inspire la sagesse aux gouvernants. Change les cœurs de pierre en cœurs de chair. Maintiens en nous l’esprit d’amour qui distingue en l’autre un frère, une sœur. Seigneur, fais de nous des artisans de paix. Amen !

Les hostilités sont ouvertes.

Toute espérance d’un monde paisible et d’une vie sereine est en permanence mise à l’épreuve. La nouvelle guerre d’agression du régime russe est aussi un filtre vérificateur de la confiance que nous avions en l’amélioration possible de ce monde et des relations entre les sociétés européennes.

Le courage biblique de croire en un monde meilleur doit également composer avec une hostilité que la Bible inscrit dans les premières pages de notre histoire : le monde voulu par Dieu et habité par l’humain est engagé dans le combat contre le Mal. C’est presque une lapalissade de le rappeler : le Mal est la crise régulière de toute foi en l’humain. Aucune politique, aucune spiritualité non plus ne saurait nous en débarrasser.

Le récit des origines, dans la Genèse, se termine ainsi par l’ouverture des hostilités qui n’ont eu de cesse de gâcher l’histoire humaine. Je me demande bien qui est ce Dieu cruel qui se venge de l’humain en rendant l’accouchement pénible et dangereux, en permettant à l’homme de dominer la femme, en rendant le travail pénible et ingrat, puis en expulsant les humains du jardin des origines, en barrant à jamais la route du retour ?

Je vous propose de prendre un peu de recul face à l’actualité à travers ce texte biblique et de considérer quelques aspects de l’ensemble du chapitre 3 de la Genèse. Vous vous souvenez qu’avant de manger le fruit, le couple originel vivait dans ce jardin de l’essentiel de Dieu. À la fin du récit, ils doivent quitter l’Eden pour entrer dans le monde tel que nous le connaissons aujourd’hui : un monde marqué par l’hostilité, les conflits de tout genre et l’ambiguïté de l’histoire.

Dans cette image biblique, l’humain entre dans l’histoire par l’expulsion du Jardin des origines ; il retrouve toute sa vie inscrite dans la rencontre inévitable avec le mal. Désormais, il a le bon et le mauvais devant lui - et en lui. Dans le jardin, le mal était symboliquement représenté par le fruit. Il était extérieur à l’humain qui pouvait raisonnablement se situer face à lui. Maintenant que l’humain a mangé le fruit, le mal est en lui. L’expulsion du jardin des origines a posé une fois pour toutes cet acte auquel nous sommes toujours exposés : chercher un monde meilleur, faire le bien ou le mal, c’est plus qu’une question de choix, c’est un combat, y compris contre moi-même.

Le récit biblique suggère de manière symbolique comment nous pouvons nous mobiliser dans ce combat. Dans sa malédiction du messager du Mal, Dieu dit au serpent que lorsqu’il mordra la descendance humaine au talon, cette dernière lui écrasera la tête. Entre le serpent et l’humain, le combat n’est pas symétrique : l’humain a les moyens d’écraser le Mal, alors que ce dernier ne peut que l’attaquer au talon. La malédiction du serpent est fondamentalement une parole adressée à l’humain : tu seras confronté au mal y compris sous sa forme la plus gratuite. Il t’appartient de ne pas te laisser vaincre, mais de lui écraser la tête.

L’existence dans le monde signifie la confrontation avec ce pouvoir du mal. L’histoire de l’humanité est l’histoire des victoires et des défaites de l’humain dans ce combat.

La sortie de l’Eden correspond à l’entrée dans la quête d’un monde meilleur, elle permet d’accéder à l’histoire de l’humanité. Depuis qu’il n’est plus dans le jardin, l’humain doit lutter pour le bien contre le mal, pour trouver sa nourriture sur une terre aride. La vocation de l’humanité s’inscrit dans le déploiement d’une histoire qui la fait progressivement passer de l’état de nature à l’état de culture.

Soit dit en passant que Dieu n’abandonne pas le couple humain dans sa nouvelle vie. Ils ne seront pas seuls dans leurs combats : le texte dit que l’Éternel Dieu fit à Adam et à sa femme des tuniques de peau, dont il les revêtit. Avant ces nouveaux costumes, les humains s’étaient vêtus de feuilles de figuier. Dieu a dû trouver que c’était un peu léger pour affronter les dangers du monde, alors il leur a fait des tuniques de cuir pour les protéger. Le vêtement a été le signe de la désobéissance du premier couple humain ; en les vêtant de tuniques de peau, Dieu accueille leur nouvelle situation. Les humains ont quitté l’ère de l’innocence marquée par la nudité, pour entrer dans le combat de l’histoire marquée par la nécessité de se protéger. En hébreu, le mot peau est proche du mot lumière. Des commentaires rabbiniques ont dit que Dieu a revêtu Adam et Eve d’habits de lumière pour signifier sa bénédiction sur leur histoire.

La tradition juive raconte aussi que les anges, comme d’habitude, ont râlé de ce privilège accordé aux humains, et Dieu leur a répondu : maintenant qu’ils sont exposés au bien et au mal, ils sont supérieurs à vous chaque fois qu’ils triomphent du mal, parce que vous, vous ne connaissez pas le mal...

Les rabbins ajoutent que ce verset enseigne également l’importance de fournir des vêtements aux indigents, car la honte qu’ils éprouvent à être en haillons est souvent plus profonde que la mort elle-même. Il n’y a rien de plus précieux que le regard d’un humain sur sa propre dignité.

Mais revenons encore à notre texte : cette fin du chapitre 3 de la Genèse dit qu’à l’est d’Eden, Dieu dispose des chérubins, munis d’épées flamboyantes, pour interdire l’accès du jardin des origines. Autant la vie humaine se déploie dans la mémoire des origines, en étant exposée au Mal, autant Dieu n’attend pas l’humanité dans un retour au passé. Cette interdiction du retour projette l’humain dans la construction d’un monde meilleur, d’un monde nouveau : l’Histoire est toujours à venir, et toute retraite est impossible.

Le livre de la Genèse fait apparaître que cette chute ne concerne pas uniquement l’humain dans ses relations avec Dieu et avec son prochain mais aussi la nature qui devient violente. Nous sommes dans un monde traversé, abîmé, meurtri par le Mal. Toute tentative ou tentation de le faire oublier, d’en perdre le souvenir, remet en cause notre capacité à croire en un monde meilleur.

Car si la suite de l’histoire reste marquée par l’ambiguïté, la Bible parle bien d’une attente réelle, de l’espérance d’un monde guéri du mal et de la violence.

Toute notre vie est inscrite dans cette tension entre la violence et l’espérance. Nos propres épreuves, nos blessures et nos cicatrices sont la marque de cette violence, mais notre vie par la foi de Dieu est malgré tout marquée par l’espérance.

L’Évangile, la bonne nouvelle d’une paix possible, culmine dans le récit de la Passion qui dresse le portrait d’un Dieu qui partage et porte la souffrance de l’humanité. Dans l’esprit de la Genèse, l’Évangile proclame un Dieu qui se trouve à nos côtés dans nos misères, qui se lève contre tout ce qui nous accable et nous écrase.

Pour toujours, la volonté de Dieu et notre courage de croire en un monde pacifié seront mis à l’épreuve de multiples manières. Tout acte de bonté, accompli dans les conditions du réel, pose le mystère du bien comme une énigme au moins aussi profonde que le mystère du mal.

Le romancier yiddish Sholem Asch raconte l’histoire de Schlomo, qui erre de ville en ville, à la recherche de sa famille disparue, après le terrible massacre contre les Juifs de Pologne en 1648. Arrivé à Lublin, il apprend la mort de son père, de sa mère, et de tous les siens. Il marche dans la ville au milieu des réfugiés, au milieu des pleurs et des gémissements des orphelins privés de leurs parents, des veuves qui ont perdu leurs maris, des parents qui ne trouvent plus leurs enfants. Il s’interroge : pourquoi le Dieu miséricordieux a-t-il permis la mort de tant d’innocents ? Y at-il seulement un avenir pour mon peuple ?

Alors qu’il marche dans une rue étroite, il rencontre un vieil homme qui invite les clients à entrer dans son magasin... mais ce dernier est vide. Le jeune homme l’interroge : Pourquoi appelles-tu les clients, ton magasin est vide et tu n’as rien à vendre ?

Le vieil homme répond : Je vends la foi.

Schlomo regarde plus attentivement le vieillard. Il lui semble soudainement familier, c’est comme s’il l’avait déjà vu quelque part. Oui, il en est certain, il le connaît. Ce vieil homme qui est-il donc ?

Il est Abraham qui gravit le mont Morya pour sacrifier son fils Isaac.

Il est Moïse, poursuivi par les armées d’Égypte, qui se présente devant la mer Rouge et qui se trouve coincé entre la mer et la mort.

Il est Élie sur le mont Carmel, qui prie pour la pluie, alors que pas une goutte d’eau n’est tombée depuis trois ans.

Il est tous ces humains qui poursuivent leur route, et vivent leur fidélité jusque dans les confrontations les plus radicales. Amen !

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