De quoi est-ce que j’ai vraiment besoin pour vivre ?

De quoi est-ce que j’ai vraiment besoin pour vivre ?

De quoi est-ce que j’ai vraiment besoin pour vivre ?

# Prédications

De quoi est-ce que j’ai vraiment besoin pour vivre ?

Prédication du dimanche ‘Jubilate’ (8 mai 2022) au Temple Neuf à Strasbourg - Pasteur Rudi Popp

Nous avons là le seul exemple de prière donné par Jésus dans l’Évangile, qui est transmis dans deux versions, selon Matthieu et selon Luc. Il y a donc différentes manières de dire le Notre Père : aussi, il n’est pas si sûr que Jésus voulait qu’on le dise comme une récitation ; d’après Matthieu, juste avant, il condamne les païens et leurs vaines redites. Car répéter mécaniquement un texte, fut-il le plus beau, ce n’est pas prier. Pour dire le Notre Père, il faut se pénétrer le plus possible de son sens pour en faire sa prière, à soi, personnellement.

Je pense plutôt que cette prière est donnée à titre d’exemple, pour montrer ce dont nous avons vraiment besoin pour vivre, nous apprendre à dire ce que l’on peut demander dans la prière. Elle est plus un « exemple type » de prière chrétienne dont tous peuvent s’inspirer, qu’un modèle à répéter mécaniquement.

Le Notre Père est formé de 6 demandes, 3 concernant Dieu, 3 concernant les hommes. La fin qu’on appelle ‘doxologie’ (« car c’est à toi qu’appartiennent... »), a été ajoutée tardivement au texte original. L’ensemble du Notre Père a ainsi une forme symboliquement parfaite, avec 7 intentions qui représentent le nombre de la perfection de la création, 3 étant le nombre divin par excellence, et 4 le nombre du terrestre. On retrouve là quelque chose qui est courant dans la Bible : l’accomplissement de la création se trouve dans l’union du spirituel et du matériel, qui sont les deux éléments dont tout humain a besoin pour vivre.

(Notre...) La première particularité surprenante de cette prière est qu’elle est entièrement à la première personne du pluriel. Elle ne dit pas « Oh mon Père donne-moi ci ou ça », mais « Notre Père, donne-nous ».

Il y a, par cette prière, communion de tous ceux qui reconnaissent Dieu pour leur Père. L’amour pour Dieu qui s’exprime dans la prière ne peut être dissocié de l’amour du prochain. L’un des rôles de la prière est de se mettre en communion avec tous les autres.

(...Père...) Appeler Dieu « Père », c’est affirmer une relation essentielle entre Dieu et nous. Mais il faut prendre garde de ne pas projeter sur Dieu nos expériences plus ou moins heureuses d’un père terrestre, il faut donc considérer qu’il est le Père dans un sens qui s’explique par d’autres noms encore, y compris féminins. Appeler Dieu « Père » est dire tout simplement qu’il est notre créateur. Il est celui qui est à l’œuvre dans la nouvelle création, celui qui nous donne la vie tous les jours par son Esprit. Appeler Dieu « Père », c’est dire qu’un père aime son enfant non pas parce que l’enfant ferait preuve de qualités ou de mérites qui le rendent aimable, mais simplement parce qu’il est son enfant.

(...qui es aux cieux...) Dire que Dieu est dans le Ciel, c’est avant tout dire qu’il dépasse la matière du monde et le savoir dont nous pouvons faire une science. Dans l’homme, le divin c’est cette dimension qui fait que nous sommes plus que des mammifères, cette part de notre être faisant que nous sommes plus que notre corps. Aujourd’hui, où le Ciel est presque devenu une destination touristique comme une autre, grâce à Elon Musk, nous ne devrions pas refaire le fameux contresens du cosmonaute Youri Gagarine, après son séjour dans l’espace : « Dieu n’existe pas, je ne l’ai pas rencontré... » Nous pourrions plutôt dire : « Notre Père qui es au-delà de tout, et même du ciel ».

(...Que ton nom soit sanctifié...) Dans la Bible, le nom représente la personne elle- même. Ici, s’il nous est demandé de « sanctifier » ce nom de Dieu, c’est pour dire que la relation à Dieu ait une place à part. Être humain, c’est se préoccuper d’autre chose que du quotidien : d’une part d’invisible, d’ultime, qui est plus que des valeurs et des idéaux, et qui conditionne les autres. Mais cette relation ultime à Dieu n’est pas là pour écraser toutes les autres préoccupations, ou nous faire renoncer au monde dans son ensemble, mais pour les organiser et leur donner leurs sens propres.

(...Que ton règne vienne...) Cette demande pourrait être interprétée comme une requête que Dieu vienne lui-même imposer son règne dans le monde. Or, elle risque alors de nous démobiliser : on pourrait se dire qu’il n’a plus qu’à attendre que Dieu veuille bien faire venir son règne lui-même. Or, Dieu ne respecte pas seulement la liberté humaine, il veut l’accomplir. Cette demande faite à Dieu n’a pas pour objectif de vouloir que Dieu fasse à notre place ce qui nous revient, de façon à nous éviter d’avoir à le faire, mais au contraire de nous aider à accomplir sa propre volonté. La prière est une demande qui nous engage.

(...Que ta volonté soit faite...) Là encore, le risque d’une interprétation passive est présent. On pourrait voir dans cette demande une sorte de fatalisme, comme on dit ‘Inshallah’. Mais on peut penser, au contraire, que tout ce qui arrive n’est pas précisément la volonté de Dieu, et que là est l’explication du mal : le Mal est ce qui s’écarte du projet de Dieu. Dieu ne peut que vouloir le bien, et il est à l’œuvre pour que progressivement ce soit sa volonté qui s’accomplisse. Là est le rôle essentiel de l’homme.

(...Sur la Terre comme au Ciel...) Certains considèrent que ces mots ne concernent pas seulement la troisième demande « Que ta volonté soit faite », mais qu’ils sont comme une agrafe entre les deux parties du Notre Père, entre les demandes « célestes », et celles qui suivent, « terrestres ». La volonté de Dieu est justement qu’il y ait un lien entre le Ciel et la Terre, une union entre le spirituel et le matériel, et c’est à ce lieu que l’homme doit se tenir. On pourrait aussi dire qu’il y a là un souhait supplémentaire : « et qu’ainsi la Terre puisse être comme le Ciel ». Que même dans notre monde, les réalités du Royaume de Dieu (la justice, la paix, la joie, l’amour...) puissent être vécues effectivement.

(...Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour...) Cette demande a pu être interprétée de façons contradictoires. De quel pain s’agit-il en effet, du pain matériel, ou seulement du pain spirituel ? Si l’on suppose qu’il est du ressort de Dieu de faire que l’on ait effectivement à manger, que penser alors des gens qui meurent de faim ? Doit-on voir là l’effet d’une volonté divine ? Est-ce parce qu’ils n’ont pas assez prié le Notre Père, et ne devrait-on pas remplacer toute l’aide humanitaire par la distribution de papiers contenant le texte de cette prière à réciter ? On retombe sur l’expérience que nous avons déjà évoquée : la prière n’a pas pour objectif que Dieu fasse à notre place ce qui nous revient, de façon à nous éviter de le faire ; la prière est une demande qui nous engage. En même temps, cette demande fait résonner le verset de la Bible qui dit « L’homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sortira de la bouche de l’Éternel ». On pourrait aussi traduire « notre pain de ce jour » par « pain de demain », ou « qui vient ». On peut entendre dans ce « demain » une allusion à ce qui ne concerne pas le temps terrestre, mais le demain du Royaume de Dieu dont nous avons besoin pour vivre comme enfants de Dieu. On peut donc demander à Dieu de nous donner chaque jour, le pain spirituel dont nous avons besoin pour avancer sur notre route, nous nourrir quotidiennement de sa présence, de son esprit, de sa force et de sa parole.

(...Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés...) Le pardon de Dieu et le pardon que nous sommes invités à donner aux autres sont comme une seule réalité. La difficulté réside bien dans le « comme » que le texte met entre les deux membres de la phrase. Certains ont voulu y voir une proposition qui exprime une condition : « pardonne-nous nos offenses... dans la même mesure que nous avons pardonné... ; mais cette compréhension pèche par un manque de confiance dans la grâce première de Dieu. Le pardon de l’homme ne peut conditionner le pardon de Dieu. Or c’est parce que Dieu nous aime que nous pouvons aimer, c’est parce qu’il nous a pardonné que nous pouvons aimer, et pardonner à notre tour... On ne peut vraiment pardonner que si l’on se sait pardonné. Pardonner et être pardonné est un même mouvement.

(...Ne nous laisse pas entrer en tentation...) Cette demande a parfois été comprise comme si Dieu pourrait volontairement nous envoyer du mal pour nous tester, comme la Bible raconte que des hommes et des femmes sont mis à l’épreuve. Or s’il s’agit de lutter dans et contre une épreuve, il va de soi que celle-ci ne peut venir de Dieu ; nous n’avons pas à lutter contre quoi que ce soit qui nous soit donné par Dieu. Depuis 2017, nous disons bien dans la nouvelle traduction oecuménique « Ne nous laisse pas entrer en tentation », comme on peut entrer dans un enfermement, être enfermé dans une maison ou dans une cellule. Cela, nous pouvons bien le demander à Dieu : qu’il nous donne une porte de sortie, qu’il nous libère, qu’il ouvre devant nous un passage, comme il a libéré le peuple d’Égypte, lui ouvrant un passage dans la Mer Rouge.

(...Mais délivre-nous du mal...) Cette dernière demande va dans le sens de la précédente, et ajoute quelque chose d’essentiel : il ne s’agit pas de demander qu’il ne nous arrive pas de mal, mais que Dieu nous en libère. L’action de Dieu n’est pas vue comme intervenant sur le mal lui-même, mais sur la personne qui le subit. La question n’est pas là de savoir si Dieu ne peut ou ne veut pas éviter l’épreuve à l’homme, mais d’avoir l’intime conviction que Dieu peut nous libérer du mal qui nous arrive. Le mal existe encore, il reste là, mais nous pouvons devenir libres par rapport à lui. On peut alors se souvenir du Psaume 23 : Quand je marche dans la vallée de l’ombre-mort... La promesse n’est pas que Dieu nous évite cette vallée, mais que dans cette situation chacun puisse dire : Je ne crains aucun mal... car tu es avec moi. Voici l’essentiel dont nous avons vraiment besoin pour vivre. Amen !

Récit pour l’École biblique

Je m’appelle Olga, j’ai 10 ans. Depuis plusieurs jours, je ne vais plus à l’école. Papa dit que c’est trop dangereux.

Au début, j’étais contente. Mais maintenant, je m’ennuie. Heureusement, Mamie nous raconte des histoires. Et ma tante invente des devoirs à faire. J’ai accompagné Maman au supermarché : mais les rayons étaient presque vides, on n’a pas trouvé mes yaourts préférés.

Dimanche, on est allés à l’église. Tous ensemble, nous avons prié, de tout notre cœur. « Notre Père qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel... »

Maintenant, on n’a pas le droit de sortir le soir. Cela s’appelle le couvre-feu. C’est à cause des bombes. C’est la guerre dans mon pays. Les voisins vont passer la nuit dans les couloirs du métro pour être à l’abri. Cette nuit, il y a eu un bruit terrible dehors, et de la lumière, comme un éclair. J’ai eu si peur, j’ai pleuré dans les bras de Maman.

Le matin, avec toute la famille, nous avons prié : « Notre père, donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour. Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. »

Le lendemain, on ne pouvait pas sortir du tout. Alors j’ai inventé des jeux d’intérieur avec ma petite sœur. On s’est bien amusées en courant partout. Cela nous réchauffe, car, malgré deux pulls et même des gants, on a froid ; le chauffage ne fonctionne plus bien. Quand on a pu sortir, j’ai vu des immeubles brûlés et un grand trou dans la route. C’est là où la bombe est tombée. Des gens ont été blessés. Un peu partout, flottent des drapeaux de mon pays : le bleu du ciel et le jaune des champs de blé font contraste avec la grisaille ambiante. On n’a plus d’électricité, alors, le soir, on allume des bougies. Cela fait joli, mais je ne vois pas assez pour lire. Alors je prends mon violon et je joue tous les morceaux que je connais par cœur. Et même, j’invente des mélodies.

Puis ensemble, nous prions : « Notre Père qui es aux cieux...Ne nous laisse pas entrer en tentation mais délivre-nous du mal. »

Ce matin, j’ai dit au revoir à Papa et à Mamie. Papa m’a serrée très fort. Il va rester dans la ville pour soigner les blessés. Mamie ne veut pas quitter sa maison. Maman, ma petite sœur et moi, on va prendre un bus qui nous emmènera en Pologne. On prend juste une valise avec quelques affaires et mon violon. Le voyage est très long. J’ai envie d’aller aux toilettes, mais on ne s’arrête pas. On partage nos sandwichs avec une autre famille. Enfin, on fait une pause. Alors, au bord de la route, je prends mon violon et je joue pour tous les voyageurs. On chante, dans l’air froid. Ensuite je m’endors contre Maman en pensant fort à mon papa. Le lendemain, je vois que Maman est soulagée : on est en Pologne. On passe la nuit dans un lieu d’accueil pour les familles ; je peux prendre une douche et on nous sert des frites et du jambon !

Avant de nous endormir, nous prions : « Notre père... c’est à toi qu’appartiennent le règne la puissance et la gloire. Aux siècles des siècles. Amen. »

Maman m’explique qu’on va prendre le train pour aller au Portugal, chez sa cousine. On fera étape en France. J’essaie de repérer notre trajet sur une carte. Je suis si loin de mon pays ! Ma petite sœur pleure et réclame Papa. Moi, j’essaie d’être courageuse pour ne pas faire de peine à Maman, mais je n’arrive pas à dormir : que fait Papa ? Et Mamie ? Qu’allons-nous manger demain ? Je n’ai plus d’habits propres. J’aimerais tellement lire, dessiner, jouer, aller à l’école, retrouver des amis. Je pense à mon beau pays, à ma maison. Bientôt, j’espère, la guerre sera finie et je retournerai en Ukraine.

(Récit écrit par Catherine Ulrich)



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