08/08/2024 0 Commentaires
Où es-tu, Dieu ? Qui es-tu ?
Où es-tu, Dieu ? Qui es-tu ?
# Prédications
Où es-tu, Dieu ? Qui es-tu ?
(Prédication du 29 janvier - Dernier dimanche après l'Epiphanie)
Le buisson d’épines brûle-t-il encore ?
Aucune langue de feu ne me montre le chemin vers Dieu.
Il est devenu invisible. Invisible, il trône derrière l’horizon de la compréhension. Que percevons-nous encore de ce Dieu qui se dérobe ainsi aux yeux des hommes ? À quel point faut-il être élu pour qu’il se manifeste ? Et comment puis-je reconnaître Dieu parmi toutes les impressions qui m’assaillent ?
Où es-tu, Dieu ? Qui es-tu ?
Ce ne sont pas seulement des questions posées par quelques fous religieux qui n’ont toujours pas compris qu’il faut laisser le ciel aux anges et aux moineaux. Ces questions, la plupart d’entre nous se les posent probablement. Pas en public, pas non plus dans le cercle des collègues, et beaucoup ne partagent sans doute même pas la question de Dieu avec la personne avec laquelle on partage tout par ailleurs.
Dieu semble n’appartenir qu’au dialogue intérieur secret. La plupart du temps, c’est lorsque la vie devient douteuse. Lorsque la glace de la vie devient mince, lorsque l’âge m’oblige à penser à ma propre fin. Lorsque je commence à me demander en quoi je peux placer ma confiance, ce qui me donne une orientation en ces temps de confusion.
Où es-tu, Dieu ? Qui es-tu ?
Et qui suis-je dans tout ce qui passe ?
Tant de choses non résolues, tant de choses inimaginables. Où est la flamme de ce feu d’où Dieu me parle ? Heureux celui qui peut encore poser de telles questions.
Nous vivons la plupart du temps notre vie dans les traces du quotidien. Nous dormons et nous nous levons. Nous faisons notre travail du mieux que nous pouvons. Nous voulons aller de l’avant, être un peu rigoureux. Certaines choses réussissent, d’autres non. Les enfants, nourris avec amour selon nos possibilités, grandissent. Les parents vieillissent, la vie s’écoule. C’est tout ? Un regard en arrière peut révéler l’une ou l’autre bifurcation qui a été importante. Important — pour quoi ? Important pour le succès ? Pour le bonheur ? Important pour découvrir un sens ? Quel sens ?
Moïse garde les moutons de son beau-père. Une vie entre le lever et le coucher du soleil. Un voyage à travers les steppes de Madian. À la maison, une femme et un enfant attendent dans le foyer emprunté.
Moïse vit en exil. Il n’a pas une histoire de vie ordinaire derrière lui. Abandonné enfant dans une corbeille au bord du fleuve pour échapper à l’infanticide des bouchers égyptiens, il grandit plus tard lui-même à la cour du pharaon, bénéficiant d’une éducation de prince égyptien. Mais il reste dans le cœur de l’Hébreu, qui s’indigne des mauvais traitements infligés à son peuple. Et un jour, aveuglé par sa colère, il tue un surveillant égyptien qui avait maltraité un esclave. Moïse doit prendre la fuite. Il est désormais un réfugié politique. Le plus grand prophète de la Bible était, lui aussi, un réfugié.
Et il trouve asile dans le pays de Madian, pleinement intégré avec femme et famille, avec exploitation de bétail et reconnaissance, n’aurait-ce pas été un beau happy end ?
Mais Moïse reste un étranger au fond de lui-même. Moïse ne peut pas oublier. Il ne peut pas oublier ce qu’il a vu en Égypte. La misère de son peuple, le regard terne des sœurs et des frères humiliés, les coups, tout le sang qui a coulé.
Moïse traverse les steppes de Madian avec ses moutons. Ses pensées et ses pas le poussent toujours plus loin. Son chemin le mène au-delà de la steppe. Bien au-delà des itinéraires et des routines quotidiennes.
Moïse va jusqu’à la montagne sainte. Et il voit le buisson ardent. Voit des flammes qui flambent, des tressaillements, du mouvement, de la lumière. D’habitude, les épines brûlent bien, surtout dans un pays sec. Un crépitement, une fumée, et le sec tombe en cendres et en poussière. Mais pas ici.
Et c’est donc la curiosité qui le pousse à explorer et à comprendre le merveilleux. Pourquoi le buisson d’épines ne se consume-t-il pas ?
Puis la voix : Moïse, Moïse ! Et Moïse dit : — Me voici.
Me voici ! En hébreu : Hineni. Hineni, c’est ainsi qu’Abraham avait parlé lorsqu’il avait reçu l’ordre de sacrifier son fils Isaac. C’est ainsi qu’il parla une deuxième fois lorsqu’Isaac l’appela. Me voici, c’est ainsi qu’il a parlé une troisième fois lorsque l’ange l’a appelé pour empêcher son acte. Me voici ! Moi, qui gardais mes moutons et ne savais rien.
Moi qui vis ma vie dans laquelle Dieu n’apparaît guère. Me voici, Dieu, voudrais-je dire avec Abraham, Isaac et Moïse. Et je sens aussitôt que cela changerait tout. La vie ne pourrait plus être vécue comme avant. Tout serait bouleversé.
« Ne t’approche pas », dit la voix du buisson ardent. « Enlève tes chaussures de tes pieds, car le lieu sur lequel tu te tiens est une terre sainte ». Dans les lieux saints, nous devenons vulnérables, nous sommes soudain proches du mystère. Sans chaussures solides, sans pied ferme, sans visière et sans rouille, sans masque. Ici, nous devons et pouvons entendre et supporter les questions vraiment essentielles de notre vie : dans quel monde vis-je ; qui suis-je ; qui est Dieu pour moi ?
Moïse voulait voir Dieu. Au lieu de cela, c’est Dieu qui le voit. Il l’appelle par son nom, se fait connaître comme celui qui le connaît. Et comme celui qui a vu la misère de son peuple. Se fait connaître comme celui qui a des yeux et des oreilles pour la misère criante de son peuple. Les souffrances des maltraités ne laissent pas ce Dieu indifférent. Les supplications de ceux qui ont peur parviennent à ses oreilles.
Au cœur de la Bible hébraïque, voici le Dieu enflammé de compassion. Il brûle pour ceux qui ont besoin d’aide. Là où des hommes et d’autres créatures sont torturés sur terre, il ne reste pas au ciel. Mais il ne se laisse pas consumer par sa passion. Il garde ses distances. Ne t’approche pas, dit-il à Moïse. Reste à distance. Il envoie son ange de feu. Et il envoie Moïse : « Va maintenant, je t’enverrai auprès de Pharaon, pour que tu fasses sortir d’Égypte mon peuple, les Israélites. »
« Qui suis-je pour faire sortir les Israélites d’Égypte ? » demande Moïse. Certains interprètes n’y ont vu qu’une question rhétorique par laquelle Moïse souligne modestement son indignité. Qui suis-je donc ? Un berger au passé violent… Prends quelqu’un d’autre ! Mais cette question peut aussi être comprise autrement qu’un simple geste d’humilité. Qui suis-je ? Il s’agit d’une question fondamentale sur sa propre personne.
Moïse cherche à être au clair avec lui-même. Qui suis-je ? Quelle est ma place ? Suis-je celui que les autres voient en moi ? Ou celui que je vois ? Suis-je celui que mon patron voit en moi, mes collègues, mes amis ? Les autres disent que je suis dur, mais il y a tellement d’hésitations et de doutes en moi. Les autres pensent que je suis une souris grise, alors qu’en moi brûle une nostalgie du ciel…
Qui suis-je ? Une simple étincelle qui s’évanouit dans la nuit infinie des étoiles ? Un homme couronné d’honneur et de gloire ? Grain de poussière ou image de Dieu ? Qui suis-je ?
« Je serai avec toi ! » — telle est la réponse surprenante que Dieu donne à la question de Moïse. Moïse s’interroge sur lui-même et Dieu répond par lui-même. Avec la promesse de son « être avec lui ». Avec lui dans la nuit noire du doute, dans les nuits de contestation. Avec lui sur les chemins de la vie, les errances et les détours. Avec lui aussi lorsque le cœur semble éclater de bonheur, dans les profondeurs du quotidien et les hauteurs de l’enthousiasme. Je suis avec toi. L’Emmanuel qui ne s’éloignera plus de ta vie.
Moïse ne doute pas de la présence du Saint. Il répond à l’appel de Dieu : « Me voici. C’est ici que tu me tiens. »
L’identité de Moïse se décide en fonction de ce que Dieu est et fait pour lui. On ne peut pas dire qui est Moïse indépendamment de ce que Dieu dit de lui. Moïse doit en tirer lui-même la conclusion.
Je suis celle, je suis celui avec qui Dieu sera. Mon identité ne s’est pas faite toute seule, elle m’a été donnée. Mais si l’identité de Moïse dépend de la présence de Dieu, la réponse à la question « Qui suis-je ? » ne peut être donnée qu’en clarifiant l’identité de ce Dieu. Moïse doit donc savoir qui l’envoie.
Qui es-tu, Dieu, toi qui m’es si proche ? Qui es-tu, toi dont la parole me transperce le cœur et occupe mon âme ? Qui me projette hors de mon quotidien et m’accable ?
Que puis-je dire à ceux qui m’interrogent sur toi ? On m’interrogera, quand j’irai voir le pharaon et que je lui dirai : Libère les prisonniers ! Et le peuple m’interrogera quand je dirai : venez, partons pour le pays de la liberté.
Que vais-je dire à ceux qui m’ont parlé ? Quel est ton nom ?
Alors Dieu dit à Moïse : « Je serai celui que je serai ». Eyé asher eyé. Cette réponse est énigmatique. Est-ce même une réponse ? Ou un rejet abrupt de la question ? Je suis ce que je suis, un point c’est tout !
Mais le mot hébreu pour « être », HAJA, a une dynamique, cela se produit, cela arrive, cela arrive à quelqu’un. Comme l’amour. C’est être là pour toi, pour moi, pour nous. Et c’est à l’imparfait. Et en hébreu, cela signifie im-perfect au sens littéral. Pas fini. Illimité dans le temps, ouvert. Pas une fois pour toutes, comme ça et pas autrement. Mais toujours nouveau, jamais terminé.
Je suis là pour vous, comme je serai toujours là pour vous. Tel est mon nom. Et partout où ce nom est invoqué, je serai là. Là où vous pensez être seuls et m’appelez, je serai là. Je suis là dans les heures de plus grand bonheur, quand votre cœur m’acclame avec reconnaissance. Dans les heures de plus grande souffrance, quand tu n’as plus de mots, je serai à tes côtés. Je suis là où mon nom est prononcé. Impossible de le saisir et de le capturer, impossible de l’enfermer dans des catégories et des attentes. Dieu sera ce qu’il sera.
Chers amis, la question de Dieu ne peut jamais être réduite au silence. Même si aucun buisson ardent ne brûle, qu’il reste aussi invisible à notre intelligence que l’amour est invisible, il ne peut être chassé de notre vie.
Le mystique Jean de la Croix formulait cela ainsi :
« Dieu fait sa part. Il se communique à l’âme, caché, en silence. De même que le soleil se lève tôt le matin pour briller dans une maison dès que tu ouvres les volets, de même, Dieu se précipite dans une âme non voilée et la remplit de dons divins. Comme le soleil, Dieu se tient au-dessus des hommes pour rayonner sur eux ».
Voici (encore) Noël ! Une lumière, une lueur, une gloire, et en plus une voix. Qu’est-ce que c’est, demandent les bergers, effrayés. Dieu est descendu, au milieu des épines. Il a vu la misère et il est resté. Et maintenant, il est au milieu. Un Dieu qui brûle pour sa création. Depuis les épines, il nous parle de salut. Jésus-Christ, le « Je suis là » incarné de Dieu.
Amen !
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