Que faisons-nous quand nous célébrons? (1)

Que faisons-nous quand nous célébrons? (1)

Que faisons-nous quand nous célébrons? (1)

# Prédications

Que faisons-nous quand nous célébrons? (1)

Prédication du dimanche 21 août 2022

Je vais vous faire une terrible confidence : j’aime France Culture. Je sais qu’à partir de cet aveu, j’appartiendrai à jamais à cette classe de la population dont les sondeurs ont identifié des affinités à la radio France Culture : les personnes âgées, les catégories de retraités et de cadres, les professions libérales, les diplômés du supérieur et les habitants des grandes villes. Les sondeurs disent qu’à mesure que l’on avance en âge, la propension à écouter France Culture augmente. Le fait d’être une personne âgée, un cadre ou un retraité, de vivre seul, d’être diplômé du supérieur et de ne pas avoir la télévision sont des facteurs aggravants pour pencher vers France Culture…

Car sur France Culture, ça cause, ça parle, ça discute. Les « Matins », les « Les Chemins de la philosophie », « La Grande table » sont des rendez-vous qui ont presque la densité intellectuelle d’un séminaire à l’université. Il y a bien sûr les émissions religieuses, le dimanche matin, dont « Solaé », la nouvelle émission de la Fédération protestante de France. Pour qui aime la parole forte, la phrase bien tournée, le message aux dimensions multiples, France Culture est une religion ; la radio aussi offre des manières de se sentir vivant, par la stimulation intellectuelle et l’interpellation par la parole, par la célébration de la vie de l’esprit.

Or justement : quelle différence alors avec une célébration dont le cœur se destine également à l’écoute de la parole ? Nombreux sont notamment les protestants qui considèrent qu’un culte revient à une sorte de plateau d’émission sur France Culture, avec un peu de musique d’encadrement, un dispositif de retransmission (que notre régisseur général Jérémie gère d’une main de maître) et surtout le long monologue de l’invité du jour, qui est toujours le même (c’est-à-dire le pasteur).

Or malgré le fait que c’est bien moi qui entends tenir le micro encore pour un petit moment, et que vous êtes, j’espère, bien installés dans vos rangs comme à la maison dans votre canapé, il me semble qu’il y a là un énorme malentendu. Même si l’on peut suivre un culte à la radio ou en retransmission sur Internet — je salue en passant ceux qui nous suivent en direct ou en rediffusion -, la participation à la célébration ne se résume pas à recevoir un son ou l’image, à capter le message auquel on peut — ou non — adhérer par la raison. Ma propre expérience me dit que la participation à une célébration chrétienne, si j’arrive à y entrer, se compose de différentes manières de me sentir vivant, et qui sont bien plus que de simples postures.

Au fond, que faisons-nous quand nous « célébrons » ? La liturgie chrétienne, et a fortiori le culte protestant, sont à tort considérés principalement par le « message », que l’on juge plus ou moins — ou pas du tout — pertinent. Dans la Bible, participer à une célébration consiste à y entrer par « le cœur et les reins » pour cultiver ainsi la passion et la compassion de la vie avec tout le corps.

Dans cet esprit, une célébration chrétienne comprend une série d’attitudes, de positions et de gestes qui invitent à habiter son corps. Cela commence, vous l’avez expérimenté, par être debout à certains moments, et puis à s’asseoir en conscience : ces positions sont certes aussi utiles, puisqu’on dit qu’on chante mieux debout, et qu’on est plus facilement recueilli en étant assis ; mais elles sont ainsi des manières de prendre conscience que je vis par ce corps, qu’une célébration de la vie ne peut faire abstraction du corps.

Et justement, parce que le culte n’est pas un cours de religion, ni une conférence de théologie, ni un exercice cérébral, la musique y prend une place aussi importante que la parole. Sans les silences, la parole devient inaudible ; or la musique, disait un grand compositeur, est la forme la plus parfaite du silence. Les chants et la musique sont l’expression du recueillement, mais introduisent aussi une pratique du silence : il retrouve ainsi une valeur positive face aux autres formes du langage : il porte les mots. Participer à la musique, chanter, est une manière de parler à Dieu, à laisser résonner la parole avec tout le corps, sans la posséder.

C’est donc aussi bien corporellement qu’une religion aspire à entretenir la passion de vivre : cette passion est précisément engendrée par le fait que l’on comprend ce que l’on aime ; que l’on en tire une signification ; qu’on y prend part ; qu’on le « célèbre ». La musique et le silence retrouvent alors une valeur positive face au langage de la parole et de l’écriture.

Seulement avec cette disposition, écouter peut devenir une manière de se sentir vivant propre au culte. Écouter, c’est être là, l’oreille ouverte, et laisser dire ce qui se dit, sans commentaire. L’écoute intéresse tout le corps, elle le situe dans une attente bienfaisante, elle suscite le désir de veiller, d’aller plus loin que seulement comprendre ce qui est dit : l’écoute suscite le désir de célébrer la passion de vivre.

La spiritualité chrétienne, vécue en assemblée, est tout entière et originellement destinée à célébrer la passion de vivre. Le culte met en valeur différentes manières de se sentir vivant : pour qui participe comme étranger, ce sont certes des « gestes » de prière, mais qui n’ont rien d’exclusivement religieux. La spiritualité est d’abord une pratique de l’humanité de chaque personne ; c’est pourquoi que le culte chrétien, par essence, n’exclut personne, ne doit exclure personne, et personne ne doit s’exclure soi-même.

Nous faisons pourtant souvent l’expérience qu’un culte paraît inaccessible, difficile à lire. Cela est peut-être lié au fait qu’il ne fait que très spécialement appel à la vue. Au culte, il n’y a rien à voir, dit-on ; c’est pourquoi il se prêterait justement à être retransmis à la radio. Or je crois que cette vue n’est pas tout à fait juste. Car une célébration donne à voir sans regarder ; elle convie à voir l’invisible dont on s’aperçoit par l’expérience intérieure. Cette manière de voir éveille et stimule une imagination paisible.

J’irai jusqu’à dire que la beauté d’une célébration ne se déploie à l’œil que parce qu’il n’y a rien à voir. Le culte protestant s’est ainsi longtemps méfié des images, voire de toute mise en scène ; aujourd’hui, et heureusement, les Églises protestantes s’engagent à vaincre la paralysie de la communication unilatéralement focalisée sur les mots et la cérébralité, en découvrant la liturgie faite de gestes, de couleurs, de corps.

On pourrait ainsi dire que la première chose qu’une célébration chrétienne donne à voir, c’est le texte biblique. Le culte est une manière communautaire de lire, de laisser résonner la parole, avec le petit comme avec le grand P.

Cette expérience de la lecture fait davantage que donner sens et signification au texte : le vécu de la lecture incarne l’être de parole que je suis appelé à devenir ; lire me fait renaître. Aussi, lire est un mode de communication qui vise le partage : je me souviens que le texte existe avant et après ma lecture ; que d’autres s’y réfèrent et lisent avec moi. Je ne suis jamais le propriétaire du texte biblique, ni de sa compréhension. Il s’adresse à moi tant qu’il s’adresse à la personne qui lit avec moi, ainsi qu’à toute la communauté de lecteurs.

Dans une célébration, le prédicateur et les auditeurs sont ensemble écoutants d’une même Parole, communiquée par la lecture. Tout le culte se résume à cette attente : on lit les Écritures pour y entendre la Parole de Dieu. Amen ! 

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