Penser la guerre ? (2)

Penser la guerre ? (2)

Penser la guerre ? (2)

# Prédications

Penser la guerre ? (2)



Penser la guerre ? (2)

Pasteur Rudi Popp - Temple Neuf à Strasbourg

Deutéronome 20, 1-4

Lorsque tu sors pour combattre tes ennemis, si tu vois des chevaux ou des chars, un peuple plus nombreux que toi, tu ne dois pas les craindre, car le SEIGNEUR ton Dieu est avec toi, lui qui t’a fait monter du pays d’Egypte. Quand vous serez sur le point de combattre, le prêtre s’avancera et parlera au peuple. Il lui dira : « Ecoute, Israël ! Vous vous avancez aujourd’hui pour combattre vos ennemis : que votre courage ne faiblisse pas ; ne craignez pas, ne vous affolez pas, ne tremblez pas devant eux. Car c’est le SEIGNEUR votre Dieu qui marche avec vous, afin de combattre pour vous contre vos ennemis, pour venir à votre secours. »

24 juillet 2022 (6e dimanche apr. la Trinité)

Un officier dans l’armée française (qui a fait plusieurs guerres) a livré une description sans concession de ce qu’il a vu : « Il n’y a pas de guerre joyeuse ou de guerre triste, de belle guerre ou de sale guerre. La guerre, c’est le sang, la souffrance, les visages brûlés, les yeux agrandis par la fièvre, la pluie, la boue, les excréments, les ordures, les rats qui courent sur les corps, les blessures monstrueuses, les femmes et les enfants transformés en charogne. La guerre humilie, déshonore, dégrade. C’est l’horreur du monde rassemblée dans un paroxysme de sang et de larmes. »

L’exécution des crimes les plus atroces, dans sa simplicité et dans sa gratuité même, nous force à ne voir dans la guerre que l’absolue négation de tout ce que le Christ a dit et fait. Le refus de la guerre, le pacifisme intégral seraient donc la seule attitude chrétienne moralement acceptable, comme Jésus l’a dit : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient. À qui te frappe sur une joue, présente encore l’autre. » (Lc 6,27-29)

Ces quelques versets nous commandent de ne pas résister au mal, de ne pas lui rendre coup pour coup, de refuser la logique de la violence. Mais quel chrétien serait capable de mettre en œuvre une telle loi d’airain ? Celui qui le voudrait pourrait renoncer à toute défense pour lui-même, mais devrait-il le faire si d’autres que lui, si ses proches sont attaqués ? À ce compte-là, si un individu pouvait se sauver possiblement (à condition de trouver un coin de désert encore vierge d’hommes), aucune communauté ne le pourrait.

 L’appel à l’amour des ennemis ne nous fournit pas un code que nous pourrions suivre, pour peu seulement que nous le voulions vraiment. La loi semble plutôt avoir ici pour fonction de nous convaincre de notre incapacité à poser par nous-mêmes un seul acte juste. Comme nous nous l’avons vu dimanche dernier, l’attitude pacifiste peut même devenir une forme secrète et involontaire de contribution au mal, du moins lorsque la guerre est le seul moyen de protéger des innocents.

Face à la guerre, la spiritualité biblique et chrétienne oscille donc entre deux réponses. La première est prophétique, elle rappelle à temps et à contretemps le commandement de ne pas tuer et son extension vers la non- violence que l’on trouve dans l’Évangile. C’est l’attitude que Jésus a adoptée face à ses ennemis : il en est mort. La seconde position est pragmatique. Elle prend acte que le mal existe et qu’une société doit l’empêcher de se déployer. L’Évangile appelle à être des citoyens responsables, notamment devant le mal. Les chrétiens pragmatiques ont réfléchi depuis longtemps aux critères qui permettaient d’intervenir dans une guerre avec la fameuse théorie de la guerre juste.

Or la faiblesse d’une telle théorie est justement qu’elle soit une théorie. La violence n’a besoin d’aucune théorie : si un jour on est contraint à la violence, il faut au contraire continuer à croire à la fécondité de l’affirmation radicale de la non-violence.

C’est cela que la lecture dans le livre du Deutéronome que nous avons entendu fait apparaître : c’est en temps de guerre que le face-à-face avec Dieu est réellement décisif, non pas pour gagner la guerre, mais pour rester humain. « Quand vous serez sur le point de combattre, le prêtre s’avancera et parlera au peuple. Il lui dira : “Écoute, Israël ! C’est le SEIGNEUR votre Dieu qui marche avec vous, afin de combattre pour vous contre vos ennemis, pour venir à votre secours.”

Ces versets ne sont surtout pas à comprendre comme la préparation biblique du « Gott mit uns », « Dieu avec nous », jadis gravé sur les canons allemands pour mieux tirer sur les Français. Tout au contraire, la fonction du discours du prêtre dans la guerre, tel que le Deutéronome la décrit, n’est pas de déchaîner la violence, mais de la délimiter. Car la guerre, même quand elle se réclame de la défensive, vire toujours dans la violence sans limites.

Car la guerre relève du diabolique en ce qu’elle est irrationnelle. Dans les situations de violence, arrive un moment où les individus perdent leur capacité de jugement. La guerre a une puissance de fascination qui peut prendre possession de la personne du soldat. Si le texte biblique introduit l’idée que « le SEIGNEUR votre Dieu qui marche avec vous, afin de combattre pour vous contre vos ennemis, pour venir à votre secours », ce n’est pas pour diviniser la guerre, mais pour humaniser la violence, afin que sa fascination ne prenne possession de la personne humaine.

Cette emprise, cette fascination de la violence font le caractère véritablement diabolique de la guerre. On peut ainsi observer que les génocides ont eu lieu dans des temps de guerre, lorsque la violence n’était plus contrôlée : le génocide contre les Arméniens a eu lieu pendant la Première Guerre mondiale, celui des Juifs d’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale ; le génocide cambodgien est inséparable des guerres qui ont embrasé l’Indochine après 1945 ; le génocide en Rwanda est à mettre en lien avec les guerres civiles qui ensanglantent la région des Grands Lacs en Afrique de l’Est depuis 50 ans.

Pendant les périodes de grande violence s’opère un décrochage du sens moral. Si le comportement humain est habituellement contenu entre pulsions et inhibitions, en temps de guerre, les inhibitions ont tendance à disparaître, et l’humain « décroche » au sens moral. Lorsqu’il a été entraîné à vaincre son inhibition à tuer, le soldat peut, s’il n’est pas étroitement contenu dans des règles de discipline au combat, se transformer en meurtrier que rien n’arrête.

C’est pour sauver la violence de devenir incontrôlable que la Bible décrit Dieu comme un combattant dans la guerre, non pas pour l’encourager.

En ce sens, la Bible et la spiritualité biblique ne sont pas un havre de paix qui invitent à nier la réalité de la violence ; la Bible nous oblige plutôt de penser la guerre comme risque ultime, et comme péché. Car si la guerre est hors la loi, il y a pourtant des lois pour la guerre. Cette idée biblique a été traduite par le droit international humanitaire qui s’appuie sur les Conventions de Genève. L’objet de ce droit est de protéger la personne — combattante et non-combattante — dans les conflits, et cela au nom des principes d’humanité et de dignité reconnus par tous les systèmes de civilisation.

Lorsque les forces du mal se déchaînent, c’est justement l’heure d’invoquer la justice de Dieu, non pas pour exalter la guerre, mais pour dominer la violence.

Amen !

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