Que signifie : dire la vérité ?

Que signifie : dire la vérité ?

Que signifie : dire la vérité ?

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Que signifie : dire la vérité ?

Le reniement de Pierre Prédication du dimanche 27 mars 2022 au Temple Neuf Pasteur Rudi Popp

« Devant la classe, un maître interroge un enfant pour savoir s’il est vrai que son père rentre souvent ivre à la maison. C’est vrai, mais l’enfant le conteste. La question du maître l’a mis dans une situation qu’il ne domine pas encore. Il ressent simplement qu’il a affaire à une irruption injustifiée dans l’ordre de la famille, dont il doit se défendre. Ce qui se passe dans la famille ne regarde en rien la classe. La famille a son secret personnel qu’elle préservera. Le maître n’a pas respecté cette réalité. L’enfant devrait trouver une réponse par laquelle l’ordre de la famille et celui de l’école seraient également préservés. »

Ce fameux exemple d’une situation de vérité est tiré d’un article de Dietrich Bonhoeffer intitulé « Que signifie : dire la vérité ? ».

La réflexion sur la question de la vérité a retenu l’attention de Bonhoeffer pendant toute sa vie ; sa conception de l’éthique a ainsi évolué d’une approche normative, dans les années 1930, vers ce qu’on peut appeler une « éthique situative », dans les années de guerre, quand lui aussi, en tant que prisonnier de la Gestapo, a été bouleversé par l’expérience du mensonge systématique.

Il est vrai que l’exemple de l’enfant qui ment devant la classe sur l’alcoolisme de son père résonne différemment pour notre époque, où les secrets de famille quant aux violences faites aux enfants et aux femmes ne doivent plus rester des secrets. Or la conclusion que Bonhoeffer en tire reste pertinente : « Chaque parole vit et a son origine dans un milieu déterminé. » « Il est vrai que l’on peut traiter la réponse de l’enfant de mensonge ; il n’en est pas moins vrai que ce mensonge contient plus de vérité, à savoir qu’il est plus conforme à la réalité, que si l’enfant avait divulgué devant la classe la faiblesse de son père. L’enfant a bien agi, compte tenu de ses connaissances. La faute du mensonge retombe sur le seul maître. »

Si chaque parole vit et a son origine dans un milieu déterminé, est-ce que le reniement de Pierre dont nous avons entendu le récit n’est donc pas un mensonge ? Il en pleure pourtant amèrement.

Dans le récit de la Passion, Pierre représente cette partie des hommes qui affichent avec force la certitude d’être justes, d’être les défenseurs de la bonne cause. À ceux-là, Jésus dit : « Je te le déclare : le coq ne chantera pas aujourd’hui avant que, par trois fois, tu aies affirmé que tu ne me connais pas.» D’abord vantard, puis lâche, Pierre est le représentant de ceux qui accompagnent Jésus, qui sont avec lui sur le chemin du supplice. Pierre représente tout un pan de l’humanité. De cette humanité qui se crée à sa façon, comme elle peut. De ces hommes qui se croient forts et justes et qui comprennent trop tard. Sans être tout à fait bon, Pierre n’est pas non plus tout à fait mauvais : il pleure et regrette. Mais à la fin de la journée, ou plutôt de la nuit, on ne peut pas vraiment compter sur lui.

Dire que chaque parole vit et a son origine dans un milieu déterminé ne signifie donc pas de trouver des excuses faciles à Pierre ; c’est au contraire affirmer que dire la vérité s’inscrit dans une situation de communication. Pour comprendre la vérité, dit l’Évangile, il faut comprendre la situation de communication.

Il serait donc trop facile de conclure, au sujet de cette histoire de reniement : Pierre est un lâche - il ment - il montre bien que nous sommes tous faibles - heureusement il se repent et pleure - donc repentez-vous et vivez dans l’humilité - Amen ! Cette lecture serait clairement insuffisante au regard de l’enjeu de la vérité.

Car nous comprenons avec Bonhoeffer que « dire la vérité » change de signification selon la situation dans laquelle nous nous trouvons. Pour dire la vérité, chaque fois, il nous faut tenir compte des conditions dans lesquelles il s’agit de dire la vérité. Il est nécessaire de se poser la question si un être humain a le droit d’exiger d’un autre un langage véridique. Plus les conditions de vie d’un être humain sont diverses, plus il sera responsable, et plus il lui sera difficile de « dire la vérité ». Il faut donc, conclut Bonhoeffer, constamment « apprendre à dire la vérité ».

Je pense que si le récit de l’évangéliste Luc insiste sur la trahison de la vérité par Pierre, c’est pour nous rendre attentifs à la situation de communication dans laquelle nous- mêmes sommes conduits à dire la vérité du Christ. Au fond, je crois que Luc décrit ici les conditions de langage d’un chrétien de toute époque. Même si nous n’avons, en République, rien à craindre de l’affirmation d’appartenir aux auditeurs de Jésus, il est bien des situations de communication dans notre vie où le témoignage chrétien peut être gênant.

Dans différents contextes, en public, au travail ou même dans un cercle d’amis un peu large, dire la vérité du Christ peut être ressenti comme du prosélytisme ; devant des personnes qui défendent une compréhension restrictive de la laïcité, parler de Jésus est parfois considéré comme une entrave à la liberté des autres. Là aussi, il faut apprendre à dire la vérité du Christ intelligemment, au lieu de se braquer et de se plaindre de son terrible sort de chrétien quasi persécuté.

Si la vérité du Christ se traduit aujourd’hui par l’accueil, l’ouverture à l’autre, le non- jugement, la tolérance, le dialogue, la miséricorde, le pardon, l’amour inconditionnel, alors mon témoignage de la foi ne peut faire abstraction de ces démarches pratiques (qui ne sont pas des « valeurs ») : dire la vérité du Christ nécessite un effort de traduction dans chaque situation de communication.

Aussi, je crois que Luc rêve d’une communauté chrétienne où l’on apprend paisiblement et intelligemment à dire la vérité du Christ, qu’il envisage l’Église en tant que situation de communication qui ne pousse personne au mensonge. Face à toutes les situations de la vie où l’on se sent maltraité, mal compris, méconnu et mal considéré, l’Église dont l’évangéliste rêve est un lieu de « bientraitance », un lieu pour expérimenter concrètement l’accueil, l’ouverture à l’autre, le non-jugement, la tolérance, le dialogue, la miséricorde, le pardon et l’amour inconditionnel.

Je pense que je ne m’avance pas trop si je suppose que notre communauté aussi, comme toute communauté humaine, a encore des marges de progression pour devenir un tel lieu de bientraitance. Aussi, je voudrais conclure en citant la proposition d’une « charte de bientraitance » pour une communauté chrétienne formulée par la psychologue Édith Tartar-Goddet, dans son livre « Quand la toute-puissance humaine s’invite dans l’Église ». Édith Tartar-Goddet imagine l’Église justement comme une situation de communication concrète, comme un engagement à la vérité de Christ :

« Nous, les membres de l’Église... animés par l’Esprit de l’Évangile, voulons valoriser le respect d’autrui, la collaboration entre nous et...

La bientraitance : C’est une manière d’être, de dire, d’agir soucieuse de l’autre, des autres. C’est éviter de pratiquer les jugements et les sous-entendus, de lancer des rumeurs.

(Nous voulons valoriser) le respect : C’est un comportement qui ne cause pas de tort physique et moral au autrui. C’est éviter de faire à l’autre ce que l’on ne veut pas qu’il nous fasse.

(Nous voulons) agir avec les autres : c’est coopérer les uns avec les autres : être positif et à l’écoute des autres. C’est éviter de se sentir supérieur aux autres, d’être arrogant, d’agir de manière individualiste.

(Nous voulons) agir avec ouverture : c’est considérer l’autre et l’accepter avec ses différences. C’est accepter les changements et s’y adapter. C’est éviter d’imposer ses idées à tout prix, d’entretenir des préjugés, de ne pas écouter les autres.

(Nous voulons) communiquer de manière respectueuse : c’est être attentif à la parole de l’autre, s’assurer que le message a bien été compris, avoir de l’empathie, partager les informations. C’est éviter de parler avec agressivité, de faire silence sur les faits destructeurs, de faire des remarques désobligeantes. »

Amen !

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