Qui est ton maître ?

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Qui est ton maître ?



Prédication du 1er dimanche apr. la Trinité (19 juin 2022) 

Qui est ton maître ? Le maître de ton désir, de tes pensées, de ta vie, de tes actes ? Qu’est-ce qui te conduit à agir d’une façon plutôt que d’une autre ? Qu’est-ce qui t’invite au silence ou au contraire te pousse à l’action ?

C’est par cette question que je voudrais aborder avec vous le livre de Jonas, en m’appuyant sur ce petit verset au début du premier chapitre : « Jonas se leva, mais pour fuir à Tarsis hors de la présence du SEIGNEUR. »

C’est dans ces mots que tout le drame du récit se déploie. Pour une raison inconnue, Jonas se laisse diriger par un autre maître que celui qui l’appelle à son service. Pourquoi Jonas est-il incapable de répondre à l’appel qui lui est adressé ? Qui donc est son maître ? Est-ce la peur ? Un désir de liberté ?

Car deux grands maîtres semblent diriger l’humain, d’après les connaisseurs : la peur et le désir, qui sont souvent à la racine de nos actes. Nous poser la question du maître de Jonas, c’est donc nous interroger sur ce que nous sommes. Ce ne sont pas de vaines questions : en interrogeant Jonas, nous pourrons éventuellement nous rendre compte d’où nous viennent nos attractions et nos répulsions ; et nous comprendrons peut-être que notre maître, dans la plupart des cas, c’est notre passé, c’est-à-dire notre inconscient.

Mais quel inconscient ? Les grandes traditions spirituelles de l’humanité, dont la tradition biblique et chrétienne, conduisent à l’éveil de ce qu’on a appelé le « Maître intérieur », qui est à la fois « plus moi que moi-même et tout autre que moi-même ». À la question « Qui est mon maître ? », il ne suffit pas de répondre « l’inconscient ». Dans la perspective spirituelle, la question « Qui est mon maître ? » est la même question que « Qui est mon Dieu ? ». C’est la question d’une relation, non pas d’une simple structure psychique que l’on subit.

Je voudrais ainsi vous présenter le livre de Jonas comme une parabole sur l’éveil d’un maître intérieur ; la révélation d’une relation qui structure mes pensées, ma vie et mes actes ; un maître qui me conduit à agir d’une façon plutôt que d’une autre ; qui m’invite au silence, ou au contraire, me pousse à l’action.

J’entends par là que ce livre est plus qu’un roman, plus qu’une anecdote. C’est une parabole : une parabole entraîne le lecteur à un changement de sa perception de soi. En lisant une parabole, je ne peux rester le même ; ce n’est pas simplement que je m’y compare à quelqu’un d’autre, mais plutôt que je comprends qu’un autre me fait signe pour que je me comprenne autrement. En ce sens, toute la Bible est une parabole : Dieu m’y fait signe pour que je me comprenne autrement.

Par l’appel de Jonas, Dieu me fait signe, à moi aussi. Il m’envoie la question : qui est ton maître ? Qu’est-ce qui te conduit à agir d’une façon plutôt que d’une autre ?

Pour répondre à cette question, on pourrait entrer en matière par la distinction habituelle de ces trois fonctions principales de l’être humain en quête de compréhension que sont le mental, l’émotionnel, le sensori-moteur.

Lorsque la Bible dit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force » (Deutéronome 6,5), elle aligne ces trois fonctions : la capacité de discernement (qui était, pour les Hébreux, le cœur), le lieu des affects (« l’âme »), et enfin l’énergie physique. La pensée grecque a traduit ses fonctions cognitive, morale et physique par « âme », « esprit » et « chair ».

« Âme », « esprit », « chair » : qui donc est mon maître ? On dirait un peu des trois à la fois ! Vous savez que les entraîneurs sportifs distinguent aussi dans leurs instructions les domaines du mental, du moral et du physique, qui correspondent pour eux à trois types d’énergie. Une joueuse de tennis de haut niveau doit disposer à la fois de l’intelligence du jeu, de la motivation et de la forme physique ; sa performance suppose une harmonie constante entre ces trois. Dès que l’une des fonctions baisse d’intensité, les commentateurs spécialisés le repèrent aussitôt et le signalent au public : « Elle n’y croit plus » (fonction morale), « elle ne parvient plus à ajuster son jeu à celui de l’adversaire » (fonction mentale), « elle subit une baisse de régime » (fonction motrice, physique).

Ma vie aussi repose sur une harmonie constante entre « âme », « esprit » et « chair». Dès que l’une des fonctions baisse d’intensité, je ressens un déséquilibre. D’ou l’importance de savoir de quelles énergies est fait le « maître » qui régit mon désir, mes pensées, mes actes : Est-ce mon milieu environnant ? l’air du temps ? mes rencontres ? la mode ? les médias ? Mon maître, est-ce ma conscience ou mon inconscient familial ?

Mon maître, est-ce mes ancêtres, le ou les fantômes de ma famille ? Mon maître, est-ce mon inconscient collectif, la civilisation à laquelle j’appartiens et dont j’ai peur qu’elle me dicte ce qu’il faut penser, ce qui est bien, ce qui est mal ?

Mon maître, est-ce une idée qui me guide, ou qui m’enferme et me perd ? Est-ce ma volonté de puissance ? Ma capacité de savoir ? Ma capacité de donner, ma liberté ?

Qui est mon maître ? Qui est mon Dieu ? C’est la même question. Avec le livre du prophète Jonas, celui « qui se leva, mais pour fuir à Tarsis, hors de la présence du SEIGNEUR », je vous propose, pour les deux dimanches à venir, de découvrir un Dieu qui n’est pas celui pour qui on le prend couramment. Pour vous dévoiler mon argument final de cette série de prédications tout de suite : Je crois que Jonas est la figure de l’humain qui fuit Dieu parce qu’il le prend pour quelqu’un qu’il n’est pas. Il lui reproche tantôt d’être omniprésent, tantôt de se retirer et de nous laisser seuls ; toujours il passe à côté de la foi de Dieu absolue, c’est-à-dire inconditionnelle, qui ne se plie pas à nos conditions.

Je voudrais terminer cette première approche de Jonas par un envoi de Jean-Yves Leloup qui sonne comme une réplique au « psaume des profondeurs » dans Jonas 2 : « On dit parfois de Dieu qu’il se retire, qu’il nous quitte. Ce n’est pas Dieu qui nous quitte, ce sont nos illusions, nos projections. On ne perd pas la foi ; au contraire, on commence à y entrer en perdant toutes croyances, en laissant les appuis de nos représentations.

Dans le domaine de la foi comme dans celui de l’amour et de la connaissance, nous n’avons que des illusions à perdre et l’illusion ici s’appelle idole. Que ce soit une personne, une idéologie, un corps de doctrine, une représentation de I’Absolu qui tout à coup se révèle à nous comme relative.

Tout ce qu’on sait de l’Absolu, c’est à travers des êtres relatifs qu’on le sait, et le drame c’est que nous faisons de ces relations relatives, des absolus, comme si elles étaient l’Absolu réel, et on cherchera alors à les imposer aux autres, absolument...». Amen !

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