08/08/2024 0 Commentaires
Des dieux de perlimpinpin
Des dieux de perlimpinpin
# Prédications
Des dieux de perlimpinpin
Prédication du dimanche « Rogate » (22 mai 2022) au Temple Neuf à Strasbourg - Pasteur Rudi Popp
Ciconia est un genre d’oiseaux échassiers souvent migrateurs appartenant à la famille des Ciconiidés et communément appelés cigognes. Le petit est appelé cigogneau.
Vous l’avez peut-être vu cette semaine dans la presse : grâce à une webcam fixée à côté de leur nid, en haut de la mairie, des dizaines de milliers d’internautes suivent la vie des cigognes de Sarralbe, en Moselle, pas loin de chez nos amis du Consistoire de la Petite- Pierre. Dimanche, c’était le drame : la maman cigogne a jeté hors du nid le petit dernier, le 5e cigogneau, malade pour avoir ingurgité du gazon qu’il ne pouvait pas digérer. L’acte fatal de la maman a suscité une vague d’indignation et de tristesse parmi les habitués de la webcam. 50 000 connexions par jour sont mesurées, et un groupe Facebook dédié permet aux internautes de commenter tout ce qui se passe dans le nid et à côté. Du coup, les images violentes de l’infanticide ont dû être expurgées des rediffusions ; ceux qui les ont vues disent « avoir pleuré » devant l’écran de leur ordinateur. Certains disent qu’ils n’aiment plus cette maman cigogne, appelée Mélodie, et fustigent sa « méchanceté » pour avoir tué son enfant. Le journal conclut ainsi : « La nature est cruelle. Les cigognes ne raisonnent pas comme des êtres humains... »
Ce petit fait divers nous rappelle à quel point les humains tendent à humaniser la nature et le monde ; tout phénomène, y compris la vie des animaux, semble être compréhensible qu’à la mesure de nos conceptions et jugements. En l’occurrence, l’humain humanisme l’animal pour en faire son vis-à-vis utile et sympathique ; l’animal est compris comme un humain, afin que l’humain puisse aussi se sentir compris par l’animal.
L’histoire du veau fabriqué en or pour en faire un « dieu qui marche à la tête du peuple » va encore un pas plus loin. Non seulement l’humain exprime ici un besoin de se sentir compris et conduit par l’animal, mais l’humain « animalise » Dieu pour en faire une sorte d’animal de compagnie.
Dans la spiritualité biblique, cette histoire occupe une place centrale : elle dénonce le danger permanent de toute religion, qui est de se tromper de Dieu. Dans la perspective hébraïque, cette confusion est désignée par la différence entre Dieu et l’idole. L’idole n’est pas seulement un « autre dieu », mais elle est plus précisément un dieu de perlimpinpin, si je peux dire ainsi : l’idole est une chose illusoire, trompeuse, et dangereuse justement parce qu’on lui prête un pouvoir. Ce veau est un dieu de perlimpinpin parce que le peuple en marche place un espoir en lui qu’il va forcément décevoir, brutalement. Tout l’argument du texte de l’Exode vise en quelque sorte la protection de notre espérance : si l’on met ses espoirs dans de la poudre de perlimpinpin, la déception est non seulement programmée, mais souvent attribuée à Dieu lui-même. « Je suis déçu de Dieu... » - mais de quel dieu parles-tu ?
Le peuple « à la nuque raide » avait pourtant bien entendu la parole qui dit : « Je suis le Seigneur, ton Dieu... Tu n’auras pas d’autres dieux devant moi. Tu ne te feras pas d’idole... Tu ne te prosterneras pas devant ces choses-là et tu ne les serviras pas.»
C’est un véritable combat spirituel qui se cache derrière ce quelques lignes. Ne croyons surtout pas que ce commandement soit spécialement destiné à quelques Israélites coincés dans le désert avec une statue de veau. C’est un combat qui traverse l’histoire de l’humanité, qui traverse aussi l’histoire spirituelle de chacune et chacun de nous. Car dans l’expérience de la spiritualité biblique, une attitude idolâtre ne se réduit pas à s’agenouiller devant la représentation d’un animal, un poteau sacré ou bien à aimer excessivement l’argent, l’alcool ou le football. Le mot idole à la même racine que celui d’idéologie. L’idéologie est une idole dans le domaine de la pensée, une pensée qui s’absolutise, qui ne critique pas son rapport à la réalité.
Et contrairement à ce que le texte laisse entendre, l’idolâtrie la plus dangereuse qui nous menace n’est pas une décision — je ne choisis pas d’être idolâtre en me fabriquant un jour une idole parce qu’il me manque une divinité. L’idolâtrie fonctionne comme une séduction, un état d’esprit inavoué, souvent aussi un conformisme. Il faut du temps, de l’éducation théologique et du combat spirituel pour s’en libérer. Cette éducation reste pour moi le premier objectif du catéchisme à vie, ou des cours de religion — apprendre la différence entre Dieu et l’idole, afin d’éviter la déception la plus violente qui soit : la déception spirituelle qui est désillusion de l’idole. Car Dieu ne déçoit personne si seulement l’on consent à ce combat spirituel.
Dans la suite du récit de l’Exode, c’est Moïse qui expérimente sur la montagne ce combat : Dieu projette de trouver un autre peuple, Moïse prend la défense des Hébreux. C’est cet échange qui devient pour nous, ce matin encore, une école de la prière.
« Moïse apaisa la face du SEIGNEUR, son Dieu, en disant : “Pourquoi, SEIGNEUR, ta colère veut-elle s’enflammer contre ton peuple que tu as fait sortir du pays d’Égypte... » » Ce surprenant échange montre le degré d’intimité avec Dieu que la Bible nous apprend. Contrairement à d’autres moments, Moïse parle ici avec Dieu face à face, visage contre visage, ce qui est une image de deux interlocuteurs qui se parlent, s’écoutent, s’accordent, se tutoient.
J’aime me souvenir que la dans la France catholique d’autrefois, les protestants étaient appelés les « tutoyeurs de Dieu ». C’était une époque où le tutoiement était moins répandu que de nos jours, où les enfants vouvoyaient leurs parents, où épouse et époux se vouvoyaient. On ne tutoyait que ses plus proches, ses intimes.
Avec Moïse, nous sommes appelés à devenir des tutoyeurs de Dieu, à entrer dans l’intimité de Dieu en nous mettant consciencieusement à l’écoute de sa parole, et en lui faisant partager notre parole la plus profonde. Mais cette intimité n’est possible qu’au prix d’un combat avec l’idole qui a pris possession de moi, souvent à mon insu : mes dieux de perlimpinpin, ma vision de Dieu pensée par moi-même.
Au lieu de vouloir vivre la relation à Dieu à travers l’élévation de l’âme humaine, la Bible nous invite à le connaître par la rencontre de l’humanité de Dieu. Le chemin vers mon humanité passe par Dieu, autrement dit : c’est Dieu qui humanise l’humain. Amen !
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