Un élan ascensionnel

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Un élan ascensionnel

Prédication du dimanche 29 mai 2022 au Temple Neuf Pasteur Rudi Popp


Y a-t-il une vie spirituelle après l’Ascension ?

La question peut vous paraître grotesque, étant donné tous les efforts de bonne conduite chrétienne auxquels vous consentez, y compris votre présence ce matin.

Mais vous allez voir qu’elle n’est peut-être pas si absurde, si l’on interroge ce passage imagé du livre des Actes avec une certaine fraîcheur. Y a-t-il une vie spirituelle après l’Ascension ? La question se pose réellement, puisque le livres des Actes s’ouvre donc sur deux refus de la part de Jésus : le refus de nous laisser réaliser la vie spirituelle ici-bas sous forme de Royaume divino- terrestre, et le refus de nous laisser contempler le ciel, en attendant simplement son retour.

« Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le Royaume pour Israël ? » Jésus leur dit : « Vous n’avez pas à connaître les temps et les moments que le Père a fixés... » Comme ils fixaient encore le ciel où Jésus s’en allait, voici que deux hommes se trouvèrent à leur côté et leur dirent : « Gens de Galilée, pourquoi restez- vous là à regarder vers le ciel ? »

La vie après l’Ascension, dirait-on, ne peut s’inscrire ni dans la réalisation immédiate du Royaume de Dieu sur terre, ni dans la pure attente d’une élévation spirituelle par ascenseur divin. Ces deux refus sont décisifs pour la vie chrétienne : ils donnent une signification à notre existence qui échappe aux catégories religieuses et philosophiques habituelles ; ces refus brouillent les pistes du Christ dont la figure ne correspond donc pas à un simple fondateur de religion, ni à un prophète de la transcendance.

Je crois que nous devons prendre l’histoire de l’Ascension beaucoup plus au sérieux, au lieu de limiter la vie chrétienne à Noël, Vendredi Saint et Pâques : nous y assistons à une forme de désorganisation-réorganisation des affaires spirituelles qui

rendent visiblement la compréhension de ce qu’on a appelé « christianisme » assez délicat, jusqu’à nos jours.

À partir de l’Ascension, il est difficile de considérer le « christianisme » comme une religion, puisque les disciples de Jésus ne sont pas simplement appelés à exécuter des croyances et des rites pour mettre en rapport l’être humain avec le surnaturel ;

À partir de l’Ascension, il est aussi difficile de considérer le « christianisme » comme une sorte de philosophie, puisque les disciples de Jésus ne sont pas simplement appelés à épiloguer sur des concepts comme l’immanence et la transcendance, et à chercher à en faire l’expérience.

D’où la question qui semble déjà moins grotesque : y a-t-il une vie spirituelle après l’Ascension ?

D’abord, si le « christianisme » n’est pas simplement à considérer comme religion qui vise exécuter des croyances et des rites pour mettre en rapport l’être humain avec le surnaturel, que faisons-nous ici ? Est-ce que le fait même de lire ce récit de l’Ascension dans la Bible n’est-il pas un acte religieux ?

Je n’en suis pas si sûr : le texte biblique lui-même ne nous inscrit dans aucun rituel, mais donne un horizon, plutôt un « élan » à notre vie - par le Saint Esprit, nous serons des témoins du Christ jusqu’aux extrémités de la terre...


Pour rester dans cet élan ascensionnel, il est nécessaire de distinguer la liberté initiale de la vie chrétienne des règles, parfois utiles, de fonctionnement d’une religion qui se sont greffés dessus. En toute honnêteté, il faut reconnaître que le christianisme fonctionne comme une religion ; or, suivant le principe du Christ, ce n’est qu’un pis-aller, pour aller ailleurs. Pour le dire dans une image philosophique : les structures religieuses sont pour les chrétiens comme les marches d’une échelle par lesquelles on rejoint le point de vue qui nous permet de saisir ce qui est autrement caché. Une fois qu’on a grimpé en haut, l’échelle ne sert plus à rien, et on peut, en quelque sorte, s’en débarrasser sans regret !

Dans l’élan ascensionnel, il est aussi difficile de considérer le « christianisme » comme une sorte de philosophie, étant donné des concepts fondateurs comme l’immanence ou la transcendance explosent par l’Ascension.

Clairement, l’histoire du Christ ne connaît pas d’humain qui s’accomplit lui-même en son histoire, en s’appuyant sur un sens établi par la pensée et sa puissance. L’immanence désigne ce qui a son principe en lui-même ; immanent signifie ce qui est en-dedans, sans référence à une cause ou à un principe extérieur.

L’image de l’Ascension en tant que tel suffit pour montrer que l’élan de vie en Christ vient d’ailleurs, et que cet ailleurs n’est pas un arrière-monde : il sert à nous débarrasser des fantômes religieux de l’immanence et de la transcendance pour nous mettre face à face, par la puissance relationnelle que la Bible appelle l’Esprit Saint.


En ce sens, même l’idée de la transcendance est dévissée : notre être ne dépend pas non plus d’un mystérieux principe extérieur, supérieur et difficilement accessible, situé dans l’au-delà. L’élan de vie ascensionnel est donnée par une relation qui se situe bien ici-bas, à l’intérieur du monde, et très accessible par la force de la parole! Si aucune religion ou philosophie suffisent pour dire ce qui nous arrive, comment en parler ?

Suivant François Jullien, interprète de la pensée chinoise, je tente une interprétation : l’Ascension installe au cœur de nos vie la dimension de l’incommensurable. Le Christ comme figure incommensurable, extraordinaire, démesurée, laisse entendre l’inouï, il laisse apparaître que l’infini n’est plus à reporter dans un « au-delà » de l’expérience, comme le voulait la métaphysique ; mais qu’il ne cesse d’infiltrer notre expérience et l’ouvre de l’intérieur à un élan de vie ascensionnel.

Le Christ ne se laisse pas intégrer dans la commune mesure du monde, mais n’est pas pour autant d’un autre monde. Il est Celui au nom de qui l’on pourra s’élever contre l’inhumain du monde - voici l’intérêt d’une vie spirituelle après l’Ascension. Amen !

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